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Tout doit changer pour que rien ne change,



Cette phrase fameuse passe pour résumer la philosophie adoptée par le Prince Salina passé à l’école de son neveu Tancredi : c’est en réalité un leurre. Le Guépard est un livre morbide dans lequel rien n’échappe à une destruction totale. C’est pire que Proust. Je pense plutôt à Salvatore Satta, à Agota Kristof, à Angelo Rinaldi, qui m’ont sidéré dans leur pessimisme radical.

Personnellement, j’ai toujours aimé la décadence, traîner dans les usines et les hôtels désaffectés, les fermes abandonnées, les ruines antiques, Alexandrie après Lawrence Durrell, etc., imaginer des lubricités cachées dans ces lieux désaffectés. Mais là…

Les nouveaux riches sont des pignoufs mais les anciens aristocrates comme le Prince sont complètement décadents dès la première page du roman, objets d’une ironie persiflante. Il manque deux pattes au Gattopardo qui orne l’entrée du palais, les reliques de la chapelle sont fausses, la vaisselle est dépareillée, le bal de Palerme est un supplice, sauf pour les jeunes filles, « ces êtres étranges », Concetta finira vieille fille, Tancredi trompera Angelica. Les cigales sont le râle de la Sicile calcinée qui, à la fin d’août, attend vainement la pluie (Points, p. 58), la délicatesse raffinée des palais aristocratiques est bâtie sur la misère noire de la paysannerie (308).

Ah, les métaphores de Lampedusa ! Les soucis accablent le Prince comme les fourmis assiègent un lézard mort (99) et, quand il se décide à demander à don Calogero la main de sa fille pour Tandredi, la scène est décrite comme la longue mastication des cartilages d’une couleuvre de la tête à la queue (133). Dans une incroyable scène sado-maso, la beauté d’Angelica est comparée au fouet qui ravage la séculaire classe dominante (168 sqq).

Le livre s’ouvre sur la récitation du rosaire à genoux dans le palais, nunc et in hora mortis nostrae, pour s’achever sur la vieillesse bigote des héroïnes qu’on a connues à 18 ans. Mais sera-ce une consolation pour le Prince Salina privé de toutes ses illusions, qui attend la clochette apportant le Saint viatique, lui qui avait tant rêvé de sauter Angelica, comme ses ancêtres l’auraient fait assurément, de voir la mort approcher sous les traits d’une femme élégante… ?

Il paraît qu’il y a plus de noblesse dans le pessimisme que dans l’optimisme.

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